Le soleil décline lentement dans le ciel de cette douce nuit d'automne. Les feuilles tombent des arbres et se posent avec délicatesse sur le sol, celui ci prend des reflets orangés. Une légère brume se forme au ras de mes pattes. Les nuages sont bien bas dans le ciel ce soir. J'inspire la tendre odeur de l'automne. Je suis dressé sur le promontoire attendant le retour de la patrouille de chasse pour pouvoir m'éclipser à mon tour. Me perdre dans la forêt de pins, comme j'ai toujours adoré le faire.

La patrouille arrive, j'étais toujours sur le promontoire mais mon dos s'était légèrement courbé à cause de la fatigue. La guerrière, Plume de Pigeon, qui dirigeait la patrouille vient me voir pour me faire son rapport. Je soupire et l'écoute qu'à moitié. Une fois son rapport finit je lui ordonne de dégager et de me lâcher les moustaches. En rouspétant tel une ancienne, elle fait demi-tour et se dirige vers la tanière des guerriers. Je remarque alors que sa patte arrière semble blessée, elle boite. Son poil est négligé, son pelage hirsute. Peut être est-il temps pour elle de rejoindre les anciens. Vivre une vie paisible et mourir en toute quiétude. Qu'est-ce que j'aurais aimé qu'il en soit de même pour Requiem des Orages.

Je m'apprête à sortir lorsque je reconnais la fourrure de ma lieutenante, Horizon Crépusculaire. Je vais donc à sa rencontre au petit trop. Ses yeux sont vraiment magnifique. L'un vert assez sombre et l'autre d'un bleu translucide qui témoigne des acquis de la guerrière. Je lui lèche tendrement l'entre deux oreilles comme j'en ai l'habitude - réaction amicale, pas plus - Ses yeux se lèvent doucement vers ma direction car je suis plus grand qu'elle puis d'un signe de queue et d'un coup de museau je l'entraîne avec moi hors du camp. Hors des regards. Hors de tout. Seul.

La femelle me suit sans broncher. Je suis satisfait qu'elle ne conteste pas mon ordre même si, il ne pouvait pas paraître comme tel. Elle me suit, je sens sa queue battre régulièrement dans l'air et frôler ma fourrure plusieurs fois. La mienne traine presque au sol, comme ci, je n'avais plus la force de la soulever. Une feuille tombe de l'arbre et se pose sur le museau de la lieutenante qui rigole avant de l'enlever avec sa queue. Elle me pousse légèrement du bout du museau, je me prépare à me retourner et à lui griffer le museau mais je prends sur moi. Je me contente d'avancer, le chêne mort est enfin en vue. Avec à côté la falaise.

Je gravis le chêne abattu qui surplombe la falaise en toute confiance. Combien de fois l'ai-je traversé avec Requiem des Orages ? Je ne m'en rappelle plus, c'est donc confiant que j'invite la femelle à me rejoindre. Elle semble l'être bien moins que moi mais après tout, la confiance, ça s'apprend. Je ronronne avant de me reprendre et de l'achever en une sorte de grognement rauque. Je suis fort étonné de voir que ma patte tient le coup, pas encore de crampe. La femelle m'ayant rejoins, nous sommes tout les deux assis sur ce tronc, la queue pendante dans le vide. La femelle a les griffes plantées dans l'écorce alors que les miennes se contentent d'épouser la forme du tronc.

- Te souviens-tu de ce que je t'ai dit après la bataille contre le Clan de la Rivière ? Lors de ton baptême ?

Pourquoi poser cette question à un moment pareil. Celle-ci ne fait que rouvrir la douleur qui me tenaille le ventre depuis mille et une lunes. Mais peut être qu'en parler me fera du bien, qui sait ?! Je tourne la tête vers la femelle à la pelisse bicolore, attendant avec hâte sa réponse. En moi, je pense connaître la réponse, mais si je me trompais ?!

La femelle se met à trembler. Lui ferais-je peur ? Je ne pense pas, ces souvenirs doivent être bien plus douloureux avec le recul. Pourquoi est-ce que je lui demande de les remettre sur le tapis ? Je suis bien égoïste. J'ai un contrôle total de mes émotions mais pas elle apparemment. Elle se met à trembler et la voix chevrotante elle murmure :

- Oui, je m'en souvient...comme si c'était hier...

Un miaulement rauque s'échappe de ma gueule avant que je rattrape ce que j'allais dire. Ça risquait de la blesser bien plus. Je soupire, je ne suis pas agacé de la situation. Pas le moins du monde. Un courant d'air froid me traverse le dos. Je me revois, face à ce lieutenant. La fourrure hérissée, les griffes sorties. Je crache une insulte avant de me rendre compte que je suis toujours sur le tronc et que j'ai pas bougé. J'adresse des excuses à ma lieutenante qui semble troublée de voir mes griffes sorties et ma fourrure dressées. J'essaye de me calmer et mes poils se plaque doucement contre mon échine. Encore plus tremblante elle poursuit :

- Si j'avais courut plus vite... Requiem des Orages ne serais pas mort... Je...c'est de ma faute..je suis désolé...

J'espère que tu es content Étoile des Démons... tu as réussis à la faire douter. Je la pousse du museau vers la terre ferme avant de lui lécher l'entre oreilles afin de la réconforter et je miaule d'une voix tendre, douce mais rauque, ce genre de réconfort est très rare venant de moi. Une fois sur la terre ferme, je m'assois et enroule ma queue autour de mes pattes avant de dire :

- Non ce n'est pas de ta faute. C'est de la faute de tout le monde. Il ne fallait pas le laisser partir en patrouille d'éclaireur, c'était idiot de sa part et de la même.

Je ne pensais pas un mot de ce que je venais de lui dire. Mais il faut bien la réconforter. Je laisse glisser ma queue sur ses pattes et lui murmurant qu'elle est pour rien dans sa mort. Elle était trop jeune pour comprendre. Trop jeune pour courir. Trop jeune... trop incapable. Je frissonnes. Jamais je n'aurais pensé une telle chose d'elle jusqu'à il y a quelques minutes voire secondes.

- Te rappelles tu exactement de ce que je t'ai dit après notre retour, pendant ton baptême ?

Question plus précise que la première. J'espère qu'elle va me répondre ce que j'attends cette fois ci. Au plus profond de moi je doute désormais qu'elle soit innocente dans cette bataille. Si c'était un guerrier qui serait venu à ma rencontre il serait encore en vie.

Elle me regardait toujours, son regard n'avait pas changé. Cette chatte n'était pas la même que celle que j'avais rencontré il y a une bonne poignée de lunes, pourtant son regard restait le même. Je la regarde, avec un peu de recul maintenant, je me dis que mon instinct m'avait bien soufflé. Cette chatte - à l'époque chatonne - était destinée à une grande aventure. Heureusement qu'elle a croisé mon chemin et non celui du Clan de la Rivière.

- Oui , je m'en souvient parfaitement.

Je soupire de soulagement, au moins elle ne me déçoit pas. Pas le moins du monde, je ne regrette pas mon acte. Je ne le regretterais sans doute jamais, elle s'était mise en danger pour tenter de sauver mon frère de coeur. Cette acte de bonté envers moi était l'un des rares que j'ai jamais reçu. Je l'ai toujours remercié pour ça.

- Je vais te demander d'essayer de jamais oublier cette journée qui peut paraître héroïque pour toi mais qui n'est qu'un désastre pour le Clan. Voila ce que tu avais dit.

Aucun mot n'est faux. Chacune de ses paroles sont sorties de ma bouche ce jour. Je n'ai jamais sous-estimé cette femelle mais je dois avouer que je pensais qu'elle ne s'en rappellerait pas autant. Je me rapproche d'elle et pose mon menton sur son front, comme je l'ai fait ce jour. Ce n'est pas machinalement que je le fais, je le fais de mon plein gré, j'exprime mes sentiments. Je me suis toujours senti proche de cette femelle mais en tant qu'ami enfin, plus père qu'ami.

- Merci de t'en être souvenu, soufflais-je.

Je laisse ma tête sur son front et baisse les yeux sur sa nuque, je sens son souffle tiède glisser su mes poils.